Le Temple du Goût
Romain Leblanc
Ma vie est plus belle que la votre
La dernière série de Romain Leblanc s'éloigne, une fois n'est pas coutume, de la revisite de la représentation traditionnelle des mythes et des allégories ancestrales, pour s'intéresser aux figures de la modernité. Dans « Ma vie est plus belle que la vôtre », pas d'évocation de la Cène (« Le Dernier Repas », 2011) ou d'Adam et Eve (« la Ritournelle » en 2007 « l'Echappée » en 2010) mais un travail sur la photo amateur et le selfie, qui interroge la place de Narcisse dans la culture contemporaine.
Chacun de nous ressent bien en quelque manière la mutation culturelle qui se joue dans l'apparition d'un profil inédit de l'individu, dans son rapport avec lui-même et avec son corps. Narcisse se définit par un désir inextinguible de plaire et d'être aimé ; et c'est ce qui pointe dans notre culture contemporaine. Le rapport à soi, sans doute né des mutations du libéralisme, implique un attachement inédit au bien-être, au désir de séduire, de plaire et de convenir aux autres.
Pour interroger cette mutation de l'individu, Romain Leblanc choisit de travailler sur un stigmate du narcissisme contemporain : le selfie. Pour citer la présentation du photographe : « Peu de gens travaillent au bureau, sans que leur page Facebook ne soit ouverte sur un onglet de l'ordinateur. Twitter, Facebook... Dans les bars, il est fréquent de voir plusieurs amis réunis ensemble autour d'une table, silencieux, regardant chacun leur tablette numérique, directement connecté aux réseaux sociaux.
On tweete, on commente, on publie, on se livre aux regards des autres, en recherche de scoops, ou en faisant état de sa vie. Il y a dans cette démarche, relativement nouvelle, un impact fascinant sur la manière dont chacun éprouve l'envie ou le besoin de s'afficher au monde. Sur la sphère publique, nous nous donnons en spectacle. Nous et nos petites vies. Mais pourquoi nous agitons-nous autant publiquement ? Que cherchons-nous à prouver ? A qui et pourquoi ? »
Dans « Ma vie est plus belle que la vôtre », Romain Leblanc revisite les poncifs de la mise en scène de soi sur les réseaux sociaux. Il se met en scène dans des situations du quotidien : chez des amis, dans la rue, il prend son bain, scie ou mange des tartines. Il n'est pas à son avantage, mais documente sa vie, en essayant de suivre les règles de bienséance instiguées par les réseaux sociaux. Je suis quelqu'un de normal parce que : j'ai des amis, je fais des voyages et que ma vie sexuelle existe. Ces photos ne disent rien en elles-mêmes, elles font signe vers ce qui semble être socialement conforme. Il s'agit simplement de recréer des marqueurs de normalité dans le monde de la toile.
C'est sur facebook que Romain Leblanc présente sa série. Le réseau social agit ici comme un camouflage : c'est en fondant dans l'environnement de facebook que Romain Leblanc choisit de piquer son sujet, et de troubler notre rapport à l'image de soi.
Le parti-pris de Romain Leblanc dans sa série est de montrer la boursouflure de notre mise en scène des égos. Il détraque les codes du selfie. Le sujet n'est pas un gendre idéal ou un punk affamé, mais un nigaud qui semble ne pas connaître les paramètres de confidentialités de facebook.
Il arbore un sourire béat sur toutes les photos, qu'il soit aux toilettes ou dans les seins d'une femme, comme si le fait d'être le sujet des clichés primait sur toutes autres considérations. Il garde la même expression dans toutes les circonstances. C'est donc le fait d'apparaître qui importe.
Sur nos propres comptes dans les réseaux sociaux, le selfie sert à jauger le degré de « hype» de nos contacts. On cherche à savoir si notre relation voyage beaucoup, sait s'entourer de jolies filles ou aime la nuit.
Dans le série de Romain Leblanc, il n'y a aucune hiérarchie dans les clichés. Le compte « ma vie est plus belle que la vôtre », sur facebook, est le parangon du contact has been qui ne sait pas comprendre les subtilités du selfie. Le selfie sert d'ordinaire à montrer une aisance sociale. Ici, le selfie est détraqué car le sujet, en dévoilant tout et sans aucune pudeur, ne montre plus rien que l'absurdité de nos codes narcissiques. On voit le sujet repasser, faire du piano, cuire de la viande, manger, se laver, déféquer...Il est présent ad nauseum. Les situations s'accumulent et finissent par être mises sur le même plan. On a le sentiment que son visage niais au premier plan finit par être une simple incrustation sur une banque d'images anonymes. Être dans son bain et être détenteur d'une carte fnac finit par avoir la même portée sociale. Dans cette surenchère de selfies, on ne sait plus quels sont les marqueurs sociaux, ni où se situe la zone de l'intimité et du secret.
Romain Leblanc révèle, par la surenchère et l'absurde, combien nos codes de représentation de soi ne charrient qu'insignifiance. La parade soi sur les réseaux sociaux ressemble à un comportement d'adolescent, qui cherche à tout prix à se faire accepter et reconnaître par les autres, au prix peut-être du conformisme et de la dissolution de soi. Par la série « ma vie est plus belle que la vôtre », Romain Leblanc s'inscrit dans le courant artistique de l'idiotie, à l'instar de Flaubert, Lars Von Trier les buddy-movies ou même le rap des Casseur Flowters. Le propos est ici de déjouer les stratégies de pouvoir modernes, en feignant de ne pas les maîtriser. Ainsi Romain Leblanc nous tend un miroir vers notre indifférence nihiliste.
Elise Foucault
Biographie
Né en 1985, à Evreux. Romain Leblanc vit et travaille entre Paris et la Haute-Normandie. Après une licence d’Arts Plastiques, il rejoint en 2008 le collectif photographique « Images à Louer » et en devient associé en 2010. En 2011, il s’associe au graphiste Jérôme Pellerin et réalise avec lui des visuels pour des institutions culturelles.
Depuis novembre 2012, Romain Leblanc est professeur à la Maison des Arts d'Evreux, où il enseigne la photographie. Romain Leblanc s’inspire des codes narratifs et dramaturgiques du théâtre et du cinéma pour mettre en scène des situations. Ses travaux accordent une place importante à la mise en scène du sacré et à l'actualité des mythes antiques et bibliques. Il s'est ainsi intéressé au mythe d'Adam et Eve pour interroger les rapports du couple, dans ce qu'ils ont de cruel ou de libérateur. Juxtaposant mises en scène austère et scénographies inattendues, son travail interroge aujourd’hui l’intime, la vanité, l’absence et la mort.
Romain Leblanc est membre du studio hans lucas depuis 2014.
Romain travaille également en collaboration avec le graphiste Jérôme Pellerin sur des visuels d'illustrations.
Site internet :
Horaires & lieux
Le Temple du goût
30 rue Kervégan
44100 NANTES
Tous les jours de 14h à 19h.
JUSQU'AU 16 OCT