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Confluence

Jessica Todd Harper

Home Stage

 

« Avant que j’aie des enfants, ma méthode de travail consistait largement à attendre que l’inspiration arrive. Mais pendant ma grossesse, pour la première fois ceci ne se produisit pas. Tout ce que je pouvais faire pour passer ma journée, c’était réfléchir sur l’art. Dès que les enfants sont arrivés (mes premiers enfants étaient jumeaux), j’ai été remplie du désir de faire à nouveau des photographies mais j’ai découvert que je devrais désormais l’imposer. Le sommeil, les douches et les repas entraient en compétition avec les images qui occupaient mon esprit. Une des premières que j’ai réalisées était un portrait de moi tenant Marshall dans la salle de bains, alors qu’il était âgé de quelques semaines. Je suis en chemise de nuit dans la maison de mes parents et j’ai (inconsciemment) copié un très ancien thème : la Vierge Marie à l’enfant Jésus. La lumière nous entoure et nous éclaire d’une manière qui suggère un moment miraculeux, céleste et très particulier. Mais la photographie s’inscrit dans le monde réel. Le miracle doit composer avec la fatigue et une salle de bains encombrée.

La série The Home Stage * est venue de la sensation bouleversante que lorsque nous sommes devenus parents, Chris et moi sommes entrés dans un monde différent et étrange : un monde entièrement gouverné par nos enfants. Je me suis demandée ce qui m’avait tellement occupée avant qu’ils soient là.

Le temps aussi évoluait différemment. Comme a pu le décrire une grand-mère : « les jours sont longs mais les années sont brèves. » Des personnes âgées roucoulaient autour de mes enfants à l’épicerie, m’assurant que je faisais du bon travail, souriant avec malice à mes bébés. Un jour, alors que j’étais très enceinte de mon troisième enfant et que mes jumeaux en bas âge piquaient une double colère monstre à l’idée de ne pouvoir entrer dans l’aquarium à homards de la poissonnerie, une femme aux cheveux gris me toucha le bras et dit sans aucune ironie : « Ma chérie, c’est la meilleure période de votre vie ».

Cette époque semble tout à la fois éphémère et éternelle. Une de mes images favorites représente mon mari Chris, mon fils Marshall sur un cheval à bascule et mon grand-père paternel. Les lignes qui connectent ces individus sont éclairées, soulignant l’intensité de leurs relations. Le père se penche en avant, et bien que l’enfant se recule, il est très proche de lui. A l’arrière-plan, le profil de mon grand-père fait écho aux profils juvéniles du mari de sa petite-fille et de son arrière-petit-fils. Le cheval à bascule aux airs d’antiquité, que mon grand-père avait fabriqué pour son propre fils, est désormais au premier plan et au centre de l’image, et c’est un nouvel enfant qui en profite.

Dans une autre photographie, ma soeur Becky s’occupe de sa fille nouvelle-née, devant une peinture me représentant avant que j’aie des enfants et une autre peinture, plongée dans l’ombre, de notre arrière-arrière-arrière-grand-mère, Mary. Celle-ci est dans son âge mûr, habillée de vêtements simples et sombres du début du XIXème siècle. Ses descendants victoriens l’ont réencadrée dans de complexes fioritures dorées. Bien que Mary soit morte il y a longtemps, dans cette photographie elle partage le même espace que ses descendantes matrilinéaires directes, dont la plus jeune est dodue, avide, en pleine crois sance et prospérité – tandis que sa mère apparaît royale, charmante, fatiguée et voluptueuse.

Becky et son bébé semblent un témoignage de l’abondance de la vie, respirant la jeunesse. Mais tout autant que cette image est une célébration de la vie, elle suggère la mortalité de ses sujets et leur rôle ultime dans une longue chaîne de générations.

Ma fille de deux ans m’a demandé un jour : « Est-ce que tu es moi, maman ? Ou sommes nous différentes ? » A certains moments, je me suis posée la même question. Dans mes photographies, les adultes protègent et bercent leurs enfants, les corps et les lignes de la composition forment un emmêlement, un encerclement. Pourtant, même si ces connexions sont puissantes, les enfants sont souvent perdus dans leurs propres pensées, imaginant des choses que nous pouvons seulement tenter de deviner.

Nos enfants nous sont prêtés dans cette vie, et c’est notre devoir merveilleux et mystérieux de les acclimater au monde, et de nous assurer qu’ils connaissent la nature des choses avant que nous disparaissions. Nous les aimons et leur construisons des espaces dans nos maisons et nos familles.

Nous y travaillons tellement fort. Et puis nous espérons. Et nous sommes confiants. »

Jessica Todd Harper

 

*Le mot anglais stage possède un sens à la fois spatial et temporel, de sorte que The Home Stage pourrait se traduire en français à la fois par « La scène domestique » (au sens de lieu d’une représentation) et « La période domestique » (au sens d’époque de la vie).

Cette double interprétation est particulièrement porteuse de sens en ce qui concerne le travail de Jessica Todd Harper, qui procède à la fois d’une mise en scène du quotidien et d’une réflexion sur la transmission entre générations.

 

Texte extrait de : Jessica Todd harper, The Home Stage (Damiani, 2014)

Note et traduction de l’anglais : Bruno NOURRY

Site internet : ​

www.jessicatoddharper.com/

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44000 NANTES

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